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La dentelle (2)

Les conditions de fabrication – A ses origines, la dentelle était l’œuvre de femmes issues de différentes classes sociales, qui confectionnaient chez elles les garnitures de leurs robes de cérémonies. A l’aide des livres de modèles, de grandes dames de l’aristocratie s’adonnèrent aussi à ce nouveau passe-temps ; on sait ainsi que Catherine de Médicis pratiquait les arts de l’aiguille (entre autres le filet) et qu’elle les enseigna à sa belle-fille Marie Stuart, reine d’Ecosse.

Au XVIIème siècle, la demande en dentelle s’accrût considérablement et la confection de ces articles de luxe d’une grande difficulté d’exécution devint un travail de professionnelles. Les religieuses des couvents, secondées d’orphelines et d’autres personnes nécessiteuses, de même que les ouvrières à domicile, travaillaient pour un salaire dépendant de nombreux facteurs : exigences de la mode, rapidité d’adaptation à la vogue nouvelle, degré d’originalité et de complexité du modèle travaillé, concurrence souvent à l’origine de baisses des prix et enfin habilité du commerçant à écouler sa marchandise.

Les manufactures s’organisaient selon deux modes de fonctionnement distincts : d’une part, pendant tout le XVIIIème siècle notamment, la direction répartissait l’ouvrage entre des ouvrières opérant à domicile ; elle ne conservait en atelier que le personnel requis pour les finitions, indispensables pour la réalisation de la dentelle à l’aiguille. Le travail pouvait également être entièrement réalisé dans des locaux fournis par le fabricant, ce qui permettait de regrouper et de surveiller les ouvrières, particulièrement les jeunes apprenties. Au cours du XIXème siècle s’affirma le règne des marchands-fabricants, dont Ernest Lefébure est sans doute le plus célèbre représentant. Sa prestigieuse maison de Bayeux stimula considérablement l’activité dentellière aux fuseaux comme à l’aiguille.

Même lorsque les ouvrières utilisaient des fils d’or et d’argent, ou encore du fil de lin de bonne qualité – qui valait très cher -, le coût du matériel ne constituait qu’une partie du prix de vente du produit fini. Ce dernier était déterminé également par le salaire versé aux employées, la marge de bénéfice prélevée part le commerçant, ainsi que par les taxes, les frais de transport et de douanes.

Il incombait toujours au manufacturier-marchand de faire réaliser les modèles par des dessinateurs professionnels, mais le prix des matériaux était retenu sur le salaire des ouvrières ; on les payait en espèces et l’employeur estimait lui-même la valeur du produit fini. Contrairement aux tisserands et aux brodeurs, les dentellières n’étaient pas réunies en corporation et leurs conditions de vie furent souvent difficiles, notamment à partir de la fin du XVIIIème siècle.

Le marchand assumait les risques financiers face aux mauvais payeurs, aux changements de mode, aux guerres et à l’instabilité politique sous toutes ses formes. Produit de luxe par excellence, la dentelle a toujours été vivement sensible, en effet, aux fluctuations politiques. Ainsi, connut-elle en France de graves revers lorsque l’édit de Nantes, qui assurait la liberté de culte, fut révoqué en 1685, obligeant les huguenots à fuir le pays. La Révolution de 1789 paralysa cette production, synonyme d’élégance aristocratique, mais Napoléon s’attacha plus tard à la faire revivre, encourageant principalement les centres d’Alençon et de Bruxelles. De 1830 à 1870 s’ouvrit à nouveau pour la dentelle une grande ère de prospérité : sous le Second Empire, elle fut très abondamment utilisée. La guerre franco-allemande et la chute de Napoléon III entraînèrent ensuite des changements radicaux dans le domaine de la mode : la disparition des crinolines, par exemple.

La crise la plus sévère éclata avec le succès de la mécanisation. La lutte désespérée qui s’engagea prit dans certaines régions l’aspect de véritables émeutes. En Angleterre, le mouvement ouvrier des Luddites se constitua dans le but de combattre la mécanisation – responsable selon lui du chômage et de la baisse de qualité des produits ; au début du XIXème siècle, il s’en prit directement aux machines textiles, dont celles destinées à la dentelle. Le Parlement réagit en instituant la peine de mort pour destruction de matériel. La modernisation eut pour conséquence d’aggraver considérablement la situation de l’ensemble du secteur artisanal car, dans une ultime tentative pour concurrencer la production mécanique, les salaires furent encore réduits.

Au XIXème siècle, les conditions de vie des dentellières changèrent. Le travail, de plus en plus morcelé et réparti sur des journées de labeur très longues, était essentiellement assuré en atelier et les ouvrières n’en voyaient jamais le résultat final. L’organisation du travail assujettissait totalement les ouvrières à leur patron. Souvent très mal payées, elles connaissaient des conditions de travail pénibles et les problèmes de santé propres à cette profession : dégradation de la vue et déformation de la colonne vertébrale essentiellement.

Evolution de la main-d’oeuvre – Il est difficile d’imaginer à l’heure actuelle l’importance économique que revêtait l’activité dentellière du XVIIème au XIXème siècle. Aujourd’hui, le nombre des employés de Vorarlberg en Autriche, de Saint-Gall en Suisse, de ceux du nord de la France et du centre de l’Angleterre, additionné à celui des ouvriers asiatiques, demeure dérisoire comparé au volume de la main-d’oeuvre d’autrefois. Autour du noyau formé par les ouvrières et les fabricants gravitaient en effet maintes professions indispensables à cette chaîne textile : fournisseurs et industries annexes (filatures, fabricants d’aiguilles, tourneurs de fuseaux), entreprises de finition et de distribution, fabricants de lingerie, marchands de mode et merceries.

En France, le nombre de personnes travaillant dans l’industrie dentellière en 1669 était officiellement de 17 300, mais ce recensement semble très inférieur à la réalité car, quelques années auparavant, on chiffrait à 8 000 les seules dentellières d’Alençon et à 22 000 celles de la région du Havre. Au XVIIIème siècle, ces ouvrières très spécialisées étaient 14 000 autour de Valenciennes, 20 000 dans le pays de Caux, 25 000 sur Dieppe, Arras et Lille et 100 000 en Auvergne. Au milieu du siècle suivant, la France comptait un total de 240 000 dentellières sur une population de 35 millions d’habitants. A la même époque, Friedrich Engels compta 3 546 machines à dentelle en Angleterre ; dix ans plus tard, le nombre de dentellières dans le centre de l’Angleterre avoisinait 18 500. Au milieu du XVIIIème siècle, Bruxelles comptabilisaient 200 marchands et 9 à 10 000 dentellières. Cent ans plus tard, il y avait en Belgique 50 à 60 000 ouvriers ; l’importance économique de la dentelle belge semble avoir dépassé celle de la tapisserie à son apogée.

Le nombre d’ouvriers dentelliers dans le monde fut évalué, vers le milieu du XIXème siècle, à 535 000 ; mais ce chiffre étaient en diminution constante alors que celui des machines augmentait, dans une évolution inexorable.

De nos jours, les 5 000 ouvrières allemandes d’Annaberg constituent un record européen. En 1974, il ne restait que 200 à 300 dentellières en France dans la région du Puy-en-Velay, dont l’âge moyen était de 75 ans. La fabrication manuelle s’effectue principalement aujourd’hui dans les pays asiatiques, qui produisent en abondance des dentelles bon marché. Incapables de concurrencer sur ce terrain leurs collègues orientaux aux salaires très bas, les dentelliers européens se sont spécialisés dans la fabrication artisanale à caractère touristique, ainsi que dans le marché de haut luxe et de l’art. le nombre d’artistes qui travaillent actuellement dans le domaine de la dentelle à l’aiguille ou aux fuseaux est d’ailleurs en augmentation. D’un prix élevé, ces oeuvres sont souvent des pièces uniques, considérées comme des objets d’art et exposées comme tels.

Un apprentissage précoce – Le travail de la dentelle exige une certaine formation qui avait lieu jadis en famille, en apprentissage ou, au XIXème siècle, dans des écoles spécialisées. Dans les régions à tradition dentellière, l’enfant s’initiait à cet artisanat vers sept ans, parfois déjà dès sa cinquième année ; les carreaux ou coussins aux dimensions réduites étaient aussi courants que les modèles miniatures de fers à repasser. L’éducation des fillettes avait souvent pour but principal – voire exclusif – l’apprentissage des techniques de la dentelle aux fuseaux ou à l’aiguille.

Dans les orphelinats administrés par l’Eglise ou par l’Etat, les petits pensionnaires se livraient à cette activité en contrepartie de leur entretien. Le travail des enfants était alors fréquent, notamment dans les manufactures anglaises ; en Suisse également, les plus jeunes – dès six ou sept ans – apportaient une contribution au budget familial en oeuvrant chez eux sur des machines à broder. Comme dans les autres secteurs de l’économie, les conditions de travail occasionnaient diverses maladies et une mortalité précoce.

Au XIXème siècle, l’enseignement tenta de s’organiser pour permettre aux ouvriers des manufactures de rivaliser avec les machines. Des écoles d’Etat se mirent à assurer la formation des professeurs. De nombreux dessinateurs de modèles firent leur entrée dans l’industrie à cette époque. La scolarisation obligatoire jusqu’à douze ans fut, à la fin du siècle, l’un des facteurs du déclin de la production dentellière, au même titre que la mécanisation et le désintérêt général pour une profession difficile et mal rétribuée. L’Etat français se préoccupa au tout début du XXème siècle de stimuler l’enseignement dentellier, en particulier en Normandie et en Auvergne, mais il ne put empêcher le coup de grâce porté à la dentelle par la première guerre mondiale.

Un certain nombre d’écoles ont survécu à toutes ces vicissitudes, notamment à Alençon, Valenciennes, Bailleul et au Puy, où s’est ouvert en 1976 le Conservatoire national de la dentelle du Puy, rattaché aux manufactures d’Etat. En Belgique et en Angleterre, des structures ont été mises en place pour sauvegarder l’enseignement de la dentelle. L’intérêt du public pour cet artisanat se fait plus marqué depuis les années 1970, comme l’indique, dans les régions dentellières, le succès de nombreux cours du soir et des stages, souvent prévus pendant les périodes de vacances.

Dentelle et culture – En Occident, la dentelle n’a pas seulement joué un rôle dans le domaine économique et dans celui plus frivole de la mode. Elle fait partie de notre héritage culturel et a exercé sur les arts une influence non négligeable.

C’est à la peinture tout d’abord que nous devons une grande partie de nos connaissances sur la dentelle. Il est fascinant d’étudier par exemple les portraits de la reine Elisabeth Ier d’Angleterre, qui tenait à ce que les pierres précieuses, les broderies et les dentelles ornant ses costumes fussent représentées de manière réaliste. Les sculpteurs ont su, également, et avec un talent extrême, exprimer dans des matériaux rigides la finesse et la légèreté des dentelles garnissant les costumes de leurs modèles.

Dans le domaine musical, la dentelle a inspiré des compositeurs aussi différents que Johann Strauss (Le Mouchoir de dentelle de la Reine) et Henry Purcell. La littérature n’est pas restée insensible non plus aux charmes de ces ouvrages délicats. Ainsi, Shakespeare (1564-1616), qui était originaire du centre de l’Angleterre, était-il à même de les connaître et de les apprécier. Protestant contre l’interdiction proférée par Louis XIV d’importer des dentelles étrangères, Mademoiselle de La Trousse rédigea un pamphlet intitulé Révolte des passements, dans lequel elle décrivit les dentelles de son époque. Outre-Rhin, Louise Otto-Peters (1819-1895) conduisit à la plume un combat acharné pour la défense des misérables dentellières d’Erzgebirge, mais c’est sans doute son compatriote Rainer Maria Rilke (1875-1926) qui sut avec la plus grande sensibilité capter sur le papier la nature aérienne de l’oeuvre de dentelle.

Innombrables furent aussi les témoignages anonymes des chansons de dentellières de tous les pays. Ces compositions, souvent chantées sur le rythme du croisement des fuseaux, évoquaient le saint patron local : saint Nicolas à Lille, saint Louis à Arras, saint François-Régis en Auvergne, sainte Anne à Bruges.

Cette production fut également marquée par l’instauration de fêtes liées à l’activité dentellière ; on célébrait les saints patrons, ainsi que la limite des périodes où la chandelle était indispensable. Bien peu d’entre elles sont parvenues jusqu’à nous.

Les services postaux de nombreux pays, enfin, représentent parfois sur leurs timbres des vêtements ou des personnages historiques vêtus de dentelles, ou bien célèbrent directement leur gloire, à l’imagine de la très fameuse dentellière de Vermeer.

Source : « Autour du fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Bonnier, Paris, 1989, volume 8.

La dentelle (1)

Ouvrage léger et décoratif à motifs ajourés, que l’on réalise avec un ou plusieurs fils de coton, de lin ou de soie. Contrairement aux jours ou à la broderie, la dentelle n’est pas travaillée sur un support de tissu : elle est entièrement élaborée avec du fil, souvent à partir d’un dessin ou d’un modèle.

On distingue deux grands groupes : le travail à l’aiguille, à base de points de feston, et celui aux fuseaux, technique d’entrecroisement des fils. Dans le langage courant, pourtant, la notion de dentelle couvre un vaste domaine aux frontières flous. C’est ainsi que l’on baptise improprement « dentelle » des technique aussi variées que la frivolité, les broderies sur tulle et de type Richelieu ou broderie vénitienne, de même que certains ouvrages au tricot ou au crochet, comme la dentelle d’Irlande, par exemple.

Le nom des dentelles évoque souvent une ville ou un pays mais ne correspond pas toujours à leur véritable lieu de fabrication : le point d’Angleterre est produit en Flandre, le Point de Venise imité en France et le Point de France copié en Italie… D’autre part, les dentelles d’une même origine ont pu connaître, dans des lieux distincts, des évolutions voisines à des époques différentes, si bien que l’aspect du fond et la nature des motifs sont des critères de datation insuffisants. L’ensemble de ces phénomènes rend singulièrement complexe l’étude de la dentelle ancienne.

Des origines méditerranéennes – On a retrouvé des traces très anciennes de techniques annonciatrices de la dentelle. Les recherches archéologiques menées en Egypte ont permis de mettre à jour des sépultures coptes contenant des coiffures ajourées. On ignore la méthode exacte de leur fabrication mais la technique, mélange de tressage et de mailles, ressemble beaucoup à celle qu’on appelle aujourd’hui « sprang ». Les tombes renfermaient aussi des bobines chargées de fils qui ont probablement servi à exécuter ces « dentelles » primitives. D’autre part, le tressage des fils de chaîne d’une étoffe, que le tisserand exécutait en finition, est peut-être à l’origine de la dentelle aux fuseaux.

La dentelle à l’aiguille telle que nous la connaissons aujourd’hui a pour précurseur deux techniques de broderie blanche ajourée : le punto tagliato, réalisé en faisant des trous dans une étoffe puis en brodant le contour des motifs découpés, et le punto tirato, où des fils du tissu étaient retirés ou rassemblés en faisceaux. Elle trouva ses formes définitives au cours du XVIème siècle : la transition peut être observée dans les livres de modèles italiens – parfois publiés en France -, dont les plus anciens datent de l’époque de François Ier. Les premiers ouvrages conçus indépendamment du support apparurent ensuite, sous la forme de « bordures à dents » (d’où le mot dentelle) appelées punto in aria (point en l’air).

Tous ces éléments semblent désigner l’Italie, et plus particulièrement Venise, comme le berceau de cet art délicat. Les éléments constitutifs et la technique ont été empruntés aux brodeurs, mais dès 1580, la dentelle est devenue un procédé entièrement indépendant.

Peu à peu, des centres dentelliers furent créés en Europe. Venise et Alençon se spécialisèrent dans la dentelle à l’aiguille, tandis que la dentelle aux fuseaux était fabriquée en Belgique et dans le nord de la France (Bruxelles, Anvers, Bruges, Valenciennes), en Italie (Milan), en Allemagne de l’Est (Annaberg, Schneeberg), dans les comtés du centre de l’Angleterre, ainsi que dans la petite ville de Tonder au Danemark. C’est aux XVII et XVIIIème siècles que l’activité dentellière fut à son apogée, avant d’entamer une période de déclin liée à l’évolution industrielle.

Du produit de luxe à la grande consommation – Jusqu’au XIXème siècle, les dentelles furent extrêmement coûteuses, non seulement à cause du processus de fabrication complexe requérant un fil de lin d’une grande finesse, mais aussi en raison des frais considérables de transport et surtout de douane ; il s’y ajoutait, pour les dentelles en fil métallique, le prix des métaux précieux.

Les autorités tentèrent à plusieurs reprises d’endiguer la prodigalité des amateurs de dentelle en promulgant certaines ordonnances – les célèbres lois somptuaires – concernant le costume, qui cherchaient à empêcher l’investissement de grosses sommes d’argent, de la part de particuliers, dans des biens de luxe improductifs. Elles visaient en même temps à éviter l’évaporation des fonds de l’Etat au profit de fabricants étrangers, tout en protégeant la production nationale. Pour ce faire, l’importation était lourdement taxée et parfois même interdite. Néanmoins, aucune personne de qualité ne pouvait se dispenser d’arborer ce symbole de richesse et de raffinement, et bien souvent nobles et marchands parvenaient à contourner ou à braver les règlements.

Les dentelles ornaient vêtements, costumes ecclésiastiques et militaires, sous-vêtements et accessoires. Dans les milieux très aisés, on les utilisait aussi en ameublement. En raison de leur prix très élevé, elles servaient surtout de garnitures. La confection de grands morceaux n’était pas seulement lente et chère, la technique en était aussi fort compliquée. Les vêtements et pièces d’ameublement entièrement confectionnés en dentelle restèrent donc très rares jusqu’à l’apparition du tulle machine. L’une des plus célèbres exceptions – le couvre-lit que le couple archiducal Albert et Isabelle de Habsbourg reçut à l’occasion de son mariage en 1599 – est conservée aujourd’hui aux Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles. Les robes des impératrices Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780) et Marie-Louise (1791-1847), épouse de Napoléon Ier, constituent d’autres exemples mondialement connus.

Les inventaires, listes de dot et testaments permettent de connaître et d’estimer avec précision ce qu’on possédait autrefois. Ainsi, l’un des courtisans de Louis XIII acquit une fraise dont la valeur atteignait celle de « vingt-cinq arpents d’excellents vignobles » ! Un exemplaire des luxueux mouchoirs que l’on se contentait de tenir à la main coûtait deux cents ducats au XVIIème siècle (soit la valeur de 700 g d’or). Comme n’importe quel autre article, les dentelles ont suivi les diktats de la mode. On se paraît, à l’époque de la Renaissance, de modèles aux motifs très ajourés et aux dentelures profondes. Au XVIIème siècle, on leur préféra des dentelles aux bords droits ; coiffes et bonnets ne se concevaient pas alors sans garnitures délicates. Les cols, qui n’étaient guère auparavant que l’extrémité de la chemise, se détachèrent hardiment du vêtement, tuyautés en fraise ou dressés en col Médicis. Les chemises s’ornèrent de cravates à la Steinkerke puis, au XVIIIème siècle, de jabots. Deux cents ans après les tabliers de fantaisie du XVIIème siècle, les éventails et les ombrelles apparurent, généreusement décorés de dentelles ;

L’évolution du costume nous est connue grâce à d’innombrables peintres ; certains ont su reproduire les dentelles avec une exactitude minutieuse. Parmi eux ce sont particulièrement distingués Johannes Vermeer (1632-1675), Anthonie Van Dyck (1599-1641), Frans Hals (1581-1666) et Rosalba Carriera (1675-1757), une artiste italienne forte de son expérience de dessinatrice de modèles.

Les dentelles s’appliquaient surtout aux accessoires, coiffes ou cols, qu’il était possible de découdre et de moderniser lorsque leur forme originelle passait de vogue. Celles qui nous sont parvenues, en revanche, prennent souvent la forme de robes de baptême ou de voiles de mariée conservées pieusement de génération en génération.

Au fil des siècles, et surtout au cours du XVIIIème siècle, la bourgeoisie s’enrichit suffisamment pour pouvoir garnir de dentelles les vêtements portés aux grandes occasions – bals, mariages ou baptêmes – et pour en orner lingerie et linge de maison. Dans les milieux moins fortunés, elles n’étaient pas moins appréciées : on utilisait des pièces plus grossières ou des imitations en crochet et en tricot.

Petit à petit, les dentelles s’intégrèrent aux habitudes vestimentaires des classes moyennes et du costume de fête des riches paysans. Le costume tchèque des monts des Géants (Krkonose), dans le nord-est du pays, comprend ainsi un fichu et un fin tablier blancs garnis d’entre-deux en dentelle. De même, de nombreuses tenues régionales d’Allemagne du Sud et d’Alsace sont caractérisées par leurs bonnets ornés de dentelles en fils métalliques et les nombreuses coiffes normandes, ainsi que celles, hautes et aériennes, des Bretonnes, représentent une partie essentielle du costume.

Les dentelles sont des produits si communs de nos jours qu’il nous est difficile de concevoir la valeur qu’elles possédaient autrefois. A côté de la production mécanisée d’articles de grande consommation et de la fabrication artisanale traditionnelle, cette technique est à l’origine de nouvelles expériences artistiques. Les musées de Londres, Bruxelles, Bruges, Hambourg, pour ne citer que les plus riches, organisent des expositions permanentes ou provisoires de dentelles anciennes et contemporaines ; de plus il est toujours possible, sur rendez-vous, d’admirer leurs collections non exposées.

Le feutre

Etoffe non tissée, confectionnée directement à base de fibres animales – essentiellement la laine de mouton – et dont la cohésion est obtenue grâce à la capacité des fibres de s’accrocher les unes aux autres sous l’influence de l’humidité, de la pression, du frottement et de certains produits chimiques.

Le feutrage est probablement la plus ancienne manière de travailler la laine : il est connu depuis 3 000 ans au moins. Dans la chaîne des monts Altaï, entre l’Union soviétique, la Chine et la Mongolie, on a découvert en 1947 un ensemble de textiles scythes datant au Vème au IIIème siècle avant notre ère, enfouis dans huit chambres funéraires. Parmi ces vénérables trésors textiles – dont la célèbre tapisserie de Pazyryk -, se trouvait une tenture en application de feutre, décorée de figures humaines et animales. Aujourd’hui encore, les manteaux, tentes, sacoches et tapis richement décorés des nomades afghans témoignent du raffinement d’un procédé bien connu en Asie centrale. D’autre part, on a trouvé en Norvège des fragments de feutre datant du Vème siècle après JC qui attestent l’existence d’une importante tradition de feutrage en Scandinavie.

Le principe du feutrage – Un examen au microscope montre que chaque fibre de laine est fortement ondulée et que sa surface se compose d’écailles qui se dressent lorsqu’elles sont humides. Si on frotte les fibres les unes contre les autres, elles se froissent et, en raison de leur structure crépue, s’entremêlent ; les écailles dressées s’agrippent alors inextricablement les unes aux autres. Ce processus est accéléré par des températures relativement élevées (eau à environ 60 °) et par l’emploi de produits tels que le savon, la soude ou l’acide. Les divers types de laine présentent des différences dans leur taux de feutrage ; les plus performantes à cet égard proviennent des moutons de Nouvelle-Zélande. Malgré ces variations, le taux de feutrage de la laine de mouton est si élevé qu’il est possible d’y incorporer des matières non feutrables – lin, soie, coton, fibres artificielles ou synthétiques – pour en abaisser le prix de revient. Cependant, cet apport, qui modifie sensiblement la qualité, ne doit pas dépasser 60 % du total, au risque de rendre l’étoffe fragile et lâche.

On peut utiliser certaines autres toisons animales – poils de chameau, chèvre ou lapin, par exemple – pour en faire du « feutre de poil » de qualité variable, principalement employé en chapellerie. Le taux de feutrage de ces fibres étant nettement moins important que celui de la laine, on a coutume de faciliter le processus avec des opérations mécaniques et des produits chimiques, de sorte que ce type de produit est difficile à obtenir artisanalement.

La fabrication du feutre – Après l’élimination des particules végétales, les fibres sont soigneusement mélangées et cardées. Elles sont réparties régulièrement et superposées à angle droit en surfaces places ou sur des moules (chapellerie). On procède ensuite à un pressage humide avec addition de savon, ce qui provoque un agglutinage déjà solide des fibres. Le foulage, traitement mécanique intensif, combiné à un traitement chimique approprié, va permettre de les resserrer encore. Il peut être alcalin ou acide, cette dernière formule étant la plus fréquemment employée car elle provoque un resserrement des fibres plus rapide. Un foulage trop long, trop chaud ou trop alcalin risque de dégrader la laine. L’étape suivante est le lavage suivi des finitions éventuelles : brossage, tondage, ponçage, décatissage et teinture.

Les caractéristique principales du feutre – structure, élasticité de pression, solidité et stabilité formelle – peuvent être modulées au cours de la fabrication, selon l’emploi auquel on le destine : industrie (emballages, filtres, disques abrasifs, polissoirs, marteaux de piano) ou habillement (chapeaux, chaussures et chaussons, semelles, entoilages, vêtements). La feutrine, feutre léger et teint, sert en ameublement et en décoration ; on l’utilise avec profit en application car elle ne s’effiloche pas.

Source : « Autour du fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogtdal, Paris, 1990, volume 10.

Le damas

Tissu façonné qui, dans sa forme classique, se compose d’un effet de fond et d’un effet de dessin, c’est-à-dire d’un aspect brillant et d’un aspect mat, constitués par la face chaîne et la face trame d’une même armure satin. Certains damas sont tissés avec deux armures différentes et leur décor est complété par des trames lancées ou brochées. Le damas bicolore a une chaîne et une trame de couleur différente alors que le damas rayé présente une chaîne ourdie avec divers coloris. Ces effets d’armure sont généralement obtenus en utilisant un fil brillant à forte tension : c’est pourquoi on a longtemps préféré la soie pour cet usage. Mais dans les pays de l’Europe septentrionale, le lin, lui aussi brillant et fin, occupa rapidement une place importante dans le tissage du damas, particulièrement celui destiné au linge de table. Dans ces mêmes pays, la laine remplaça également la soie, en particulier la laine peignée anglaise, pour la fabrication de certaines étoffes damassées destinées à l’habillement et à la décoration.

Les premiers damas proviennent du Moyen-Orient, probablement de Perse, et datent du IVème au VIème siècle. Certaines étoffes de soie chinoises dites « Han », monochromes et décorées de figures tissées, qui arrivaient en Occident par la Route de la soie, se rapprochent des dams, sans en être véritablement. En revanche, les archéologues ont retrouvé des textiles tissés en Chine décorés de motifs perses de la dynastie sassanide (entre 226 et 651) et dont la facture représente une étape décisive dans le développement de la technique de ce célèbre tissu.

C’est en Italie, pays d’Europe le plus avancé sur le plan culturel au Moyen Age, que l’industrie européenne de la soie se développa et que fut créée, au XVème siècle, la technique du véritable damas. Son apparition eut une influence considérable sur la création des nouveaux motifs qui allaient s’imposer pendant la Renaissance. Parmi les plus importants, celui de la grenade allait connaître dans de nombreux pays un succès d’une durée tout à fait inhabituelle. C’est une figure aux contours nets, bien adaptée à la fois au tissage damassé et à celui d’une autre grande nouveauté de l’époque, le velours, ces deux étoffes étant employées aussi bien pour les vêtements que pour la décoration intérieure. On retrouve des variantes du motif de la grenade sur les tissus d’ameublement du XVIIIème siècle et jusqu’en 1900, lorsque l’Anglais William Morris composa sur métier jacquard des damas de soie à l’italienne pour un prix de revient raisonnable.

En Europe du Nord, les costumes et la décoration en damassé de laine remplacent, chez les paysans riches et les bourgeois, les damas de soie au prix trop élevé. Au XVIIIème siècle, les motifs les plus courants sont les rayures, les fleurs et les feuillages, ainsi que des figures géométriques variées. Les couleurs sont saturées, vert bouteille, cramoisi, jaune ocre et noir.

Les damassés de lin, presque exclusivement utilisés pour le linge de table, furent considérés comme des articles de luxe dans l’Europe du XVIème siècle et se répandirent de plus en plus au cours des siècles suivants. Dès leur apparition, on situe les fabriques les plus importantes en Flandre, où la production du lin et le développement des entreprises de tissage ont toujours été florissants. La technique du damas, uniquement appliquée aux étoffes de soie dans les pays de l’Europe du Sud, est ici combinée au lin, matériau néerlandais par excellence. Cette association s’explique mieux encore quand on connaît l’importance de la ville de Bruges, port d’arrivée des soieries italiennes et véritable plaque tournante du commerce.

En 1496, la ville de Courtrai, en Brabant, voit s’établir une des premières manufactures de lin uniquement destinée à la fabrication de linge de maison. Les décors les plus courants de ce temps étaient copiés sur les étoffes de soie : grenades, médaillons et palmettes. Très tôt, s’y ajoutent armoiries et devises, en particulier sur le linge des cours princières. Les plus anciennes pièces connues ont été exécutées pour Henry VII d’Angleterre (1485-1509). On connaît aussi le linge de table de la cour de Christian IV du Danemark, probablement l’œuvre du tisserand hollandais Passquier Lamertijn, spécialiste du damas appelé en 1619 à la cour du roi scandinave.

Pendant le XVIIème siècle, c’est à Haarlem, en Hollande, que se trouvait la plus importante manufacture de damas d’Europe. Les motifs de tissage étaient extraordinairement variés : scènes bibliques et mythologiques, scènes de chasse et de batailles avec trophées mentionnant le nom des victoires et des héros, décors représentant des accessoires de table, couverts, etc. Les services de table damassés de Haarlem étaient vendus à une vaste clientèle de familles aisées.

Au cours des guerres de religion et après la révocation de l’édit de Nantes qui garantissait la liberté de religion des protestants, de nombreux tisserands vont chercher à s’installer hors de leur pays. Les réfugiés flamands fondent de nouvelles manufactures de damas, avec plus ou moins de bonheur. Dans le Schleswig, au nord de l’Allemagne, la présence des tisserands hollandais a laissé des traces visibles dans la tradition locale de tissage, en particulier le beiderwand de laine et de lin, dont les motifs sont inspirés de ceux du damassé hollandais. L’industrie irlandaise, de taille à concurrencer les établissements belges et hollandais, fut fondée par l’émigrant picard Louis Crommelin en 1698. Plus importantes encore pour le commerce européen, les manufactures de Saxe et de Silésie furent particulièrement productives, l’industrie du lin et des étoffes de fil ayant prospéré dans ces régions depuis des siècles. Là aussi, on retrouve une parenté avec les motifs hollandais, bien que la forme en soit plus populaire.

A partir du XVIIIème siècle, l’énorme production de linge de table, sous l’influence artistique d’excellents dessinateurs, fournit non seulement la cour princière de Dresde, mais aussi les autres cours allemandes et étrangères, ainsi qu’une partie de plus en plus importante de la bourgeoisie européenne. Toujours en vogue, les armoiries partagent désormais le décor avec une floraison baroque d’une grande variété, ornant élégamment la table entre les candélabres et la vaisselle d’argent.

A l’époque de Louis XV, le style rococo s’adapte aux habitudes nouvelles ; on sert le café et le chocolat sur des tables légères, recouvertes de petites nappes. Sur les serviettes du service à café, souvent tissées en soie ou en lin de couleur, se déploient de riants décors : scènes de la vie bourgeoise, textes satiriques, paysages.

L’invention de la technique du jacquard est d’une importance considérable pour la diffusion des étoffes damassées. A partir de 1830, les métiers jacquard s’implantent dans toutes les fabriques d’Europe, élargissant considérablement la clientèle. Le coût des étoffes baisse encore davantage après l’introduction du coton comme fil de chaîne. D’un prix moins élevé, cette matière offre en outre une résistance à la traction supérieure à celle du lin. En même temps, des éditeurs allemands diffusent des séries de motifs de damas sur papier quadrillé ; à partir de cette époque, les motifs seront généralement stéréotypés et souvent sans intérêt.

Au XXème siècle, avec la multiplication des progrès techniques, les étoffes damassées, à portée de toutes les bourses, perdent peu à peu leur valeur aux yeux du public. D’un nettoyage et d’un repassage fastidieux, le trousseau de lin, orgueil de la maîtresse de maison d’autrefois, ne représente plus qu’une entrave à la liberté de la femme moderne. Cependant, on constate, au cours des dernières années, un regain d’intérêt des créateurs de mode et de linge de maison pour ces étoffes aux dessins complexes.

Source : Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles, Editions Bonnier, Paris, 1989, volume 8

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